mercredi 3 mars 2010

I. Démocratie et Afghanistan, l’union impossible ?

L'Afghanistan est un pays basé sur le tribalisme, mode d'organisation de la société fondé sur différentes ethnies. Pas moins de 30 différentes ethnies sont à recenser dans le pays, chacune étant basée sur des coutumes, rites et influences différentes. Celles-ci peuvent venir du Pakistan, de Turkménistan, du monde Arabe, de l'Iran...

Les Arabes introduisirent l'Islam en Afghanistan en 651. A cette époque, l'Afghanistan, sous domination de l'Empire perse sassanide en plein effondrement, fut envahie par les armées arabes qui profitèrent de cette faiblesse pour conquérir toutes les colonies de cet Empire. Le pays a mis plus de 200 ans avant d'être totalement islamisé. La résistance exceptionnelle des shahs de Kaboul, bouddhistes à l'époque, a considérablement retardé la progression de l'Islam, Kaboul étant la capitale politique du pays, donc influente. Une région résista néanmoins pendant de nombreux siècles : la région du Nourestân. Les Nouristanis sont majoritairement musulmans seulement depuis le XIXème (1200 ans après les premières conquêtes arabes)...

Les occidentaux jouirent dans un premier temps du soutien de la population, fatiguée des exactions commises par les talibans, les heurts avec les seigneurs de guerre restants et les souvenirs sanglants de la guerre avec l'URSS... Dorénavant, les occidentaux sont de plus en plus rejetés par la population... Pourquoi ?

A. Le tribalisme, mode d'organisation sociétale

Depuis des décennies, l'Afghanistan est divisée. Sur le plan politique, avec les royalistes, et les traditionalistes, mais aussi sur le plan ethnique, et c'est là que se joue sûrement le rôle clé qui permettra un jour à ce pays de voir naitre la paix. En effet, l'Afghanistan compte de nombreuses ethnies, avec environ 38% de Pachtounes, ethnie venant du Pakistan ; les Hazara chiite ( 25% ) de l'Iran ; et les tadjikes avec l'influence russe, environ 19% (N.B : suivant les sources, les chiffres peuvent être différents). De nombreuses autres ethnies sont à recenser, avec la branche turkmène ( elle même composée de trois ethnies), la branche iranienne composée de sept ethnies et la branche indienne composée de deux ethnies...

Le mélange ethno-linguistique afghan est très complexe, d'autant que pas moins de 32 langues sont parlées à travers ce pays de 622 000 kilomètres carré. Deux sont officielles : le Dari et le Pashto, utilisées pour les affaires et le gouvernement.

Comme il est possible de le voir sur la carte ci-dessous, l'Afghanistan est un pays composé de beaucoup d'ethnies, chacune étant plus ou moins influencée par un pays... Celles-ci ne restent pas cloisonnées à l'Afghanistan, mais elles s'étalent parfois sur quelques centaines de kilomètres carrés en Afghanistan et leur majorité étant dans un autre pays ( exemple des Turkmènes majoritaires au Turkménistan et minoritaires en Afghanistan). Ces ethnies et ces différences culturelles sont essentielles à comprendre pour la pacification voulue du pays par les troupes occidentales.

L'esprit national que beaucoup de pays d'Europe connaissant est tout simplement inexistant en Afghanistan. L'appartenance ethnique prédomine largement sur l'esprit national, renforcée par une topographie accidentée, ce qui ne favorise pas la cohésion nationale. L'enjeu fondamental des occidentaux est finalement de créer un État stable où l'appartenance ethnique puisse se combiner à l'unité nationale.


Source : Diplomatie numéro 23.

De plus, l’Afghanistan est un pays composé de 34 régions, appelées plus couramment provinces. Celle-ci sont divisées en districts, équivalent aux départements français. Les provinces (carte ci-dessous) n’ont pas les mêmes coutumes, puisqu’elles ne sont pas habitées par les mêmes ethnies. Les afghans de la province de Kandahar n’ont pas la même ethnie que ceux de la province de Balkh. Chaque province a à sa tête un gouverneur, équivalent au préfet de région en France. Ils sont les représentants de l’Etat central, nommés par le président de l’Afghanistan et sont en charge de l’application des lois et des décisions prises par l’Etat. Il est intéressant de voir qu’en Afghanistan existe aussi un morcellement très précis en provinces, puisque celles-ci peuvent être tout à fait différentes quant au sujet de la présence occidentale. L’influence des talibans dans les différentes provinces est différente…


Provinces de l’Afghanistan. Source : Planète Vivante

Extrait du livre Afghanistan 1979-2009 de ENTRAYGUES Olivier

« Depuis la réelle création de l’Etat afghan, par l’Emir de fer, l’Afghanistan est caractérisé par trois faits marquants :
-une société très traditionnaliste qui refuse de façon chronique tout élan de modernisation. Au moment de l’invasion soviétique elle comptait près de 80% d’analphabètes. Pour l’Afghan, la transmission orale reste le principal mode de transmissions du savoir. C’est surtout une société qui n’aime pas être violentée.
-une absence de pouvoir central fort. L’histoire récente montre que le pays n’a jamais eu de pouvoir étatique fort. Le Wâli, les Khans, ou les Maleks ont toujours formé une contre-autorité face à Kaboul. Ni les rois qui se succédèrent, ni le règne de Daoud, ne purent lutter contre cette situation endémique. Enfin l’épisode des Moudjahiddines suivi de celui des Talibans ne furent que la continuité d’une périphérie peut encline à écouter le centre de décisions kabouli.
-l’importance du Qwan (lien de solidarité). Cette notion est fondamentale pour comprendre les liens de solidarité qui unissent et interagissent entre les différents groupes qui composent la société afghane. Le Qwan s’applique à un espace géographique donné, mais au sein d’une même vallée, on peut le voir se décomposer et se décliner en fonction de l’altitude où on se trouve. ».
Pages 292-293

B. Culture islamique, réelle influence sur les afghans ?

L’Afghanistan a mis plus de 200 ans à être totalement islamisée. La culture islamique s’est ancrée petit à petit, en fonction du nombre de provinces islamisées.

Le tombeau du suzerain et chef militaire afghan Sher Shah Suri, à l'origine de la route Grand Trunk Road connue sous le nom de la Grande Marche par les Européens, est enregistré par le patrimoine mondial de l'humanité de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture. Certains spécialistes pensent que c’est à partir de l’enterrement de Sher Shah Suri que la culture islamique est née. Petit à petit, c’est la population qui adopta les coutumes de l’Islam.

Cependant, l'Islam ne devint religion d'état qu’à la suite d'un coup d'État de Mohammed Daoud « le prince rouge » sous la constitution de 1977, celle-ci donnant les pleins pouvoirs au président et faisant de l'Afghanistan un pays à parti unique.

Durant l'intervention militaire de l'URSS, la religion a joué un grand rôle dans la solidarité, la fraternité entre les afghans, victimes d'un conflit qu'ils ne connaissent presque pas. A la suite de l’intervention militaire soviétique, un sentiment d'injustice grandit d'où la naissance des « Moudjahidines », guerriers islamiques voulant libérer leur pays de l'occupation soviétique. Le lien unique entre afghans créé par cette occupation fonctionna puisque l'URSS se retira d'Afghanistan sous la pression des Moudjahidines quelques années plus tard en 1989. Certains chefs de guerre locaux jouèrent des rôles plus importants, comme Massoud, chef de guerre le plus connu d'Afghanistan et leader de l'Alliance du Nord, groupe armé composé principalement d'anciens Moudjahidines mais aussi de civils afghans et luttant contre les talibans (néo fondamentalistes prônant le retour à un « islam pur » et voulant appliquer par tous les moyens la loi divine) à partir de 1996, date de leur arrivée au pouvoir.

Aussi, l'Afghanistan est aujourd’hui composée de 99% de musulmans, dont 80% étant sunnites de rite hanéfite et une minorité chiite, environ 20% et surtout localiséé dans le nord et le centre du pays. La culture musulmane domine très largement en Afghanistan, la religion est essentielle dans la vie d’un musulman, et elle rapproche les civils lors de période difficile, grâce à la spiritualité. Le traditionalisme très présent en dans ce pays contribue à la transmission de normes non écrites, dîtes morales, et c’est ce qui fait la culture afghane, à travers les générations.

Les occidentaux doivent donc combiner leurs missions avec le respect de la religion et du mode de vie afghan. De ce fait, les occidentaux respectent les heures de prière en ne gênant pas la pratique du culte, par exemple. La religion occupe une place très importante dans la vie d’un afghan (voir photographie ci-dessous).


Femmes à la mosquée, couverte de leur voile intégral. Source : NouvelObs.com

Extrait du livre Afghanistan 1979-2009 de ENTRAYGUES Olivier

« A ce stade de la réflexion, face au problème polémologique posé par la situation en Afghanistan, il faut bien admettre que les armées sont dépourvues de doctrine, de stratégie, de tactique, voire de philosophie de penser. En effet, face au terrorisme islamiste, au réseau des insurgés afghans, aux Talibans ou aux poseurs d’IED (explosif improvisé), qui d’entre nous s’efforce quotidiennement de chercher à comprendre les schémas mentaux de l’Islam, du Coran, des propos des Frères musulmans ou des prêches de l’Ayatollah Khomeiny ? Alors que ces éléments sont sous-jacents à nos sociétés occidentales, ils sont trop souvent rejetés du cadre didactique des écoles militaires » Page 258.

C. Une volonté de démocratie contestée

La démocratie se heurte à une discréditation de la part des insurgés. En effet, ceux-ci cachés dans les montagnes, utilisent les « bavures » occidentales pour endiguer la volonté d’augmentation d’influence des Occidentaux. De plus, les talibans essayent de gagner les esprits de la population, notamment grâce à la propagande, en faisant croire par exemple que la démocratie ne résoudrait aucun problème… La démocratie que nous connaissons actuellement en occident est-elle la solution des problèmes afghans ? Il faut prendre en compte les particularités du territoire et de la culture afghane afin d’essayer de mettre en place une démocratie. Les différentes ethnies doivent être entendues puisque l’appartenance ethnique est pour un afghan très importante. La langue ne doit plus représenter un obstacle. Pour cela, il faut tavailler à la mise en place d’interprètes ou de traducteurs. Un afghan non informé des volontés démocratiques des Occidentaux ne comprendra pas ces changements et dans son doute et sa peur, se tournera vers les talibans.

La volonté des Occidentaux d'instaurer une démocratie avec des elctions libres suscite des discussions, débats, dans les pays Occidentaux. On le voit sur la vidéo d'un débat de France 24, Afghanistan, l'impasse ? http://www.france24.com/fr/20090803-wbfrdebat19h10m090803flv-afghanistan-elections-afghanes-otan

Les forces de la coalition, avec les directives récentes, veulent « inverser la vapeur » et tout faire pour que le gouvernement Afghan et les différents leviers comme l’armée, la police, l’administration ou d’autres gagnent la confiance des Afghans.

En Afghanistan interviennent également des Sociétés Militaires Privées (SMP). Ce sont des mercenaires. Leur rôle dépend de leurs clients mais ils ne sont généralement pas favorables à une stabilisation des conflits, puisqu’ils bénéficient financièrement de la dangerosité du conflit. Leurs effectifs déployés en Afghanistan représentent entre 130 000 et 160 000 hommes, faisant de l’Afghanistan le deuxième théâtre d’opération de ces sociétés derrière l’Irak.

Parmi ces sociétés, les plus connues sont : Xe (Blackwater), DynCorp, Military Professional Ressources Inc (MPRI), Kellogg Brown and Root (KBR) qui sont regroupées au sein de la Private Security Companies of Afghanistan. Leur activité a besoin d’une grande partie de l’argent destinée à la reconstruction de l’Armée Nationale Afghane (ANA).

Malgré leur mission de reconstruction de l’ANA, les mercenaires (voir photographie ci-dessous) n’ont pas la volonté d’une amélioration quelconque dans le pays : « Les armées américaine, britannique et autres sont ici pour gagner une guerre. Pour nous, plus la situation sécuritaire se détériore, mieux c’est », expliquait un contractuel britannique, cela ne va pas dans le sens d’une stabilisation du conflit et d’une paix proche en Afghanistan.

L’effet est ravageur pour la population : « la population afghane ne sait pas reconnaitre un soldat de la FIAS d’un contractor, observe un membre du Parlement afghan. La confusion est simple et elle ne profite pas à la coalition, compte tenu du comportement souvent très agressif de ces combattants privés ». Alors que la mission des SMP est d’aider la coalition au développement du pays, ceux-ci préfèrent semer la peur pour ainsi faire des bénéfices (plus la situation est dangereuse voire périlleuse et plus ils gagnent de l’argent, contrairement aux soldats de l’armée).

On ne peut combiner volonté de paix intérieure en Afghanistan lorsque ces soldats cassent finalement le travail occidental. Si la volonté du gouvernement américain est de laisser ces sociétés privées en Afghanistan, nous pensons qu’il est nécessaire de les former, et de leur faire comprendre que le conflit afghan est différent, de part ses particularités.


Soldats d’une société privée. Source : Geostratos, le centre francophone d’information et d’étude géopolitique contemporaine.

Comment combattre un mouvement insurrectionnel et légitimer cette action lorsque les pays de la force d’intervention, représentant l’Organisation des Nations Unis (ONU) emploient des mercenaires dont la motivation n’est pas forcément celle d’un retour à la paix ?

Le fait que ces sociétés soient toujours en Afghanistan s’explique par leur connaissance approfondie du théâtre afghan, puisque ces mercenaires sont issus de missions longues de deux à quatre ans. Une expérience unique que les états-majors veulent utiliser car leurs missions n’excèdent pas six mois en général.

Il faut ajouter à cela le fait que, selon les sources officielles du Ministère de la défense français, le budget alloué à la société MPRI (Military Professional Ressources Inc) pour la rédaction du règlement militaire de l’armée afghane atteint 200 millions de dollars (soit 140 millions d’euros) ; pour l’entrainement des forces de l’ANA, il en coûte environ 1,18 milliard d’euros.

Les SMP n’ont donc aucun intérêt à une stabilisation de la situation et à ce que l’« afghanisation » de l’ANA fonctionne, c’est-à-dire à ce que l’armée afghane devienne autonome et que la mission de la coalition soit de moins en moins utile : cela diminuerait d’autant la nécessité en agents contractuels (soldats privés) et irait logiquement à l’encontre de leurs intérêts au niveau financier.

Le problème afghan doit se résoudre sur un plan national, en essayant de créer un sentiment national entre afghans. Celà n'est pas simple, les afghans étant peu nombreux à connaître l'Hymne National Afghan, par exemple.

Hymne National Afghan :

So Che Da Mezaka Asman Wee
So Che Da Jahan Wadan Wee
So Che Jowand Pa De Jahan Wee
So Che Pati Yaw Afghan Wee
Tel Ba Da Afghanistan Wee
Tel De Wee Afghanistan Melat
Tel De Wee Jumhouriat
Tel De Wee Meli Wahdat
Tel De Wee Afghan Meli Jumhouriat
Tel De Wee Afghan Mellat Jumhouriat Meli Wahdat - Meli Wahdat

Traduction en français
Aussi longtemps qu'il y aura la Terre et les Cieux
Aussi longtemps que le monde durera
Aussi longtemps qu'il y aura de la vie dans le monde
Aussi longtemps qu'il y aura un seul souffle afghan
Il y aura cet Afghanistan.
Longue vie à la Nation afghane.
Longue vie à la République.
Notre unité sera pour toujours
Pour toujours seront la Nation afghane et la République.
Pour toujours seront la Nation afghane, la République et l'Unité nationale - l'Unité nationale.

Pour écouter l'hymne afghan, se rendre sur :
http://www.globe-netter.com/pays/afghanistan/hymne.php

Cependant, certains succès concernant la volonté de démocratie sont notables :
•70% des afghans ont voté lors de l'élection présidentielle de 2004.
•Un Parlement fut élu en 2005.
•Une constitution adoptée en 2004 protégeant les droits de l'Homme et de la Femme
•La mise en œuvre de conseils paritaires mixtes dans plus de 20 000 villages.
•Le Parlement afghan compte désormais 27% de femmes.
•Une loi garantissant la liberté d'expression : il existe désormais plus de 400journaux (voir photographie ci-dessous), 80 radios, plus de 30 chaines de télévisions.


Afghan regardant les journaux à la suite du premier tour des élections. Source : cyberpresse.ca

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